Les relations de l’humain à la nature sont au cœur des préoccupations intellectuelles contemporaines parmi les plus stimulantes, en ce qu’elles remettent en cause les fondements du socle idéologique qui a fondé nos manières de faire et de penser. De fait, en quelques années, c’est à une fusion inattendue d’enjeux essentiels que nous convoque le présent: politiques, économiques, scientifiques moraux et sociétaux. Et bien sûr, esthétiques. Un alignement des affects comme on parlerait d’un alignement des planètes et dont la création artistique est « naturellement » redevable.
En réponse, pas d’injonction à « retourner » vers des modèles anciens soi-disant vertueux, mais plutôt inventer d’autres types de relations à nos environnements, en s’appuyant sur des acquis de l’anthropologie, de l’écologie et de l’éthologie, en passant par certaines théories scientifiques et éthiques féministes. En bref, prendre appui sur un renversement des droits et des devoirs dans les sphères du vivant, une contestation de la domination humaine sur les choses, une reconsidération du non-humain comme sujet et plus seulement comme objet et globalement un système de relations mouvantes plus qu’un rapport de force au sein des écosystèmes.
Cette saison de la programmation du Palais de Tokyo « Réclamer la terre », convoquant les relations entre le corps et la terre, la disparition de certaines espèces animales et végétales, la transmission de récits et savoirs minorisés, mais aussi les esprits de la nature, les énergies biologiques, l’agriculture, le jardinage et la vinification, résonne il me semble de toutes ces questions disparates, qui selon un certain angle n’en forment qu’une.
Une diversité de propositions qui n’empêchent pas des lignes de force. D’abord une attention particulière aux gestes, aux objets et aux matières, en termes sensuel, affectif, symbolique ou thérapeutique. Ensuite la convocation de « fonctions » de l’art en assumant des valeurs d’usage de l’œuvre, qui viennent pervertir les catégories établies de la création contemporaine. Enfin une énergie positive, vivante, poétisant les préoccupations parfois graves qu’elles abordent, renouant volontiers avec le spirituel, l’émotionnel et les affects. Passant sans hiérarchie de l’art à l’artisanat en passant par des pratiques militantes, cette saison est donc en soi un écosystème de formes qui part d’une réflexion écologique non comme une fin en soi, mais comme une manière de partager d’autres énergies, d’autres souffles qui animent des formes et des idées d’aujourd’hui, ici et ailleurs.
Je rêverai que le Palais de Tokyo garde, dans son fonctionnement même, la mémoire de ces enjeux qui l’auront habité pendant plusieurs semaines ; autrement dit imaginer un lieu qui bruisse de ces questions dans toutes ses dimensions, à toutes ses échelles, dans sa manière même de penser l’art, la culture, le monde, la vie.