
Futur, ancien, fugitif
Une scène françaiseRaconter l’aujourd’hui, faire le récit d’un présent qui se dérobe : c’est à cette tâche peut-être impossible que s’attèle cette exposition. Le titre, emprunté à Olivier Cadiot, convoque le présent dans toute sa fugacité et dans toute l’épreuve de sa prescriptibilité. Il évoque une humeur du temps, autant qu’une métaphore de la création. Avec ces trois mots mis bout à bout, c’est le présent qui surgit, sans jamais être écrit. Fait d’accélérations et de fulgurances, cette exposition saute d’un genre à l’autre pour dresser une cartographie sensible d’une époque. La communauté informelle d’artistes qu’elle présente emploie un champ très large de pratiques, comme autant de manières de faire surgir en creux le présent. Cette exposition ne présente pas un panorama de la création contemporaine en France : elle réinvente un territoire légèrement à part de celui que nous connaissons.
« Seul peut se dire contemporain celui qui ne se laisse pas aveugler par les lumières du siècle et parvient à saisir en elles la part de l’ombre, leur sombre intimité »,
Ces histoires de généalogie trament en souterrain l’exposition. Peu racontées et exposées, elles sont pourtant constitutives de toutes les scènes artistiques qui doivent à la multiplicité des points de vue autant qu’à des affinités et une forme de continuité. Parmi les quarante-quatre artistes ou collectifs réuni.e.s, beaucoup se sont croisé.e.s dans les écoles d’art, lieux par excellence de la transmission intergénérationnelle. A côté de ces lieux de rencontres féconds, quantité d’espaces plus informels, en marge des institutions, ont été décisifs pour les artistes de l’exposition. Car Futur, ancien, fugitif a aussi pour particularité de réunir un nombre conséquent d’artistes aux trajectoires atypiques, non linéaires ou en dents de scie, et qui parfois s’enracinent ou se propagent loin du champ de l’art. Cartographie sensible et dynamique d’une autre scène française, cette exposition réaffirme ainsi le rôle de certains passeurs, de figures plus secrètes et de fugitifs en tous genres, mais surtout d’artistes qui inscrivent leur travail dans une forme de durée, qu’il.elle.s en soit à l’aube de leur carrière ou déjà à la tête d’une œuvre dense.
Il faudrait enfin dire un mot de plus sur ce titre que nous empruntons à l’ouvrage éponyme d’Olivier Cadiot. Écrivain dit expérimental, poète, dramaturge, et passeur lui-même à la croisée des différents champs artistiques, il a placé l’expérience de la création et l’empreinte décisive du temps au coeur de son écriture subtile et inclassable. Futur, ancien, fugitif faisait ainsi entrer en scène une figure qui le suivra au fil de plusieurs romans : Robinson. Un « Robinson » loin de la figure héroïque dépeinte par Daniel Defoe, simplement « décalé, juste à côté, sur la bordure, peut-être un peu en dessous » comme l’écrit Eric Mangion dans le magazine Palais qui accompagne l’exposition. Fuyant l’emprise du temps, ce fugitif nous est apparu comme un qualificatif opportun pour désigner ces quarante-quatre témoins qui rendent compte d’un présent insaisissable.