En 1989, le critique d’art et activiste américain Douglas Crimp publie Mourning and Militancy, un essai dans lequel il évoque la possible transformation du deuil (celui des proches mais aussi la mélancolie des relations pré-sida) en une nouvelle forme de militantisme. Pour le philosophe éthiopien Dagmawi Woubshet, l’épidémie de sida a fait émerger à la fin des années 1980 une expression unique de deuil qu’il nomme « poétique de la perte combinée », les personnes queer (voir définition page suivante) devant affronter à la fois la mort de leurs proches et leur propre mortalité imminente. En 2015, la philosophe Vinciane Despret publie Au bonheur des morts, une enquête sur « la manière dont les morts continuent à entrer dans la vie des vivants ». Elle s’inscrit en faux contre la notion de « travail de deuil », une prescription normative symptomatique d’un monde rationalisé. Les défunt·es ne sont pas cantonné·es à une existence dans la mémoire des vivant·es. Iels peuvent nous interpeller, réclamer qu’on se souviennent d’elleux et ainsi nous mettre en activité. Nous pouvons en retour « instaurer » les mort·es, les aider à être ou à devenir ce qu’iels sont.