Miriam Cahn invente de nouvelles incarnations plastiques à ce qui nous dérange, à ce que l’on voudrait pouvoir zapper et qui pourtant nous fait face, nous regarde droit dans les yeux, dans un corps à corps auquel on ne peut échapper. Certaines œuvres sont susceptibles de heurter la sensibilité du public.
Jour après jour, au sein d’une œuvre picturale intense qui embrasse aussi le dessin, la photographie, les films, l’écriture, Miriam Cahn met sur pause le flux des images volatiles de l’actualité politique et s’en saisit pour témoigner, résister, incarner. Elle est aujourd’hui une des plus importantes artistes de la scène contemporaine.
L’exposition au Palais de Tokyo est la première grande rétrospective consacrée au travail de l’artiste dans une institution française. Elle réunit un ensemble de plus de deux cents œuvres de 1980 à nos jours. Miriam Cahn substitue à l’unicité de l’œuvre, un flux quasi organique d’images, organisées parfois comme dans un récit, en une écriture qui se refuse à toute linéarité au profit de clusters explosifs et d’échappées, autorisant une relecture des catégories de l’histoire de l’art. Ce qui relève du portrait, du paysage, de la peinture d’histoire, de l’intime, du collectif, se mêle pour composer une totalité organique. De nouveaux accords, des dissonances chromatiques ou spatiales apparaissent et viennent souligner combien l’enjeu de l’œuvre n’est pas la quête d’un équilibre mais l’incarnation plastique et spatiale des stridences et du chaos du monde. Les œuvres sont accrochées sans cadre, sans protection, comme des corps sans défense, dans un état de fragilité, de non fini, jonchant le sol. Comme si l’artiste avait dû s’échapper de l’espace muséal trop balisé, partager l’état d’errance de ces corps déplacés, expulsés qui souvent quittent le centre de la toile, la centralité du mur, pour migrer vers ses extrémités. Il n’y a pas de chef-d’œuvre à magnifier, à mettre en valeur pour satisfaire la demande du marché. Il n’y a plus d’érection d’une quelconque monumentalité, pas de hiérarchie entre les œuvres. Les images combinées aux mots s’inscrivent dans un récit cyclique et infini, sans cesse rejoué, sur les pages des cahiers, à la surface des toiles, dans la prolifération des variations numériques qui défilent dans ses diaporamas.
« Une exposition est une œuvre en soi et je l’envisage comme une performance »
Co-commissaires : Emma Lavigne, Marta Dziewańska
Texte : Emma Lavigne
Pour accompagner cette exposition, deux publications seront à retrouver dans notre librairie : le catalogue d’exposition sous la direction de Marta Dziewańska publié par Flammarion et le livre “Écrits de colère” publié par Hatje Cantz.