À l’occasion des 20 ans du Palais de Tokyo, des artistes, des praticien·nes et des chercheur·ses initient un projet à long terme d’examen de l’institution, prennent le pouls du centre d’art et de son bâtiment, sondent ses identités multiples, ses imaginaires comme ses désirs refoulés et ses traumatismes. En utilisant divers outils qui relèvent de la thérapie, de la sociologie critique, du chamanisme et du médiumnique, des créateur·rices de toutes disciplines proposent différentes manières d’interroger l’institution, d’en partager les déterminismes, d’en prendre soin, voire de l’exorciser.
Ce projet entre en écho avec la notion de « permaculture institutionnelle », qui irrigue la pensée et l’action du Palais de Tokyo pour les années à venir. La permaculture agricole rappelle qu’il n’y a pas de neutralité du sol : chaque terrain est différent. Dès lors, on ne sème pas avant d’avoir appris à le connaître. Au Palais de Tokyo, notre sol, c’est notre bâtiment et notre histoire. La première étape d’une connaissance de ce terrain commence par deux questions : par quels fantômes sommes-nous hantés ? Comment pouvons-nous agir pour nous réapproprier notre histoire ?
De fait, ce corps vivant de 85 ans qu’est le Palais de Tokyo garde les traces tant physiques que symboliques de ses usages successifs. Imaginé et construit par les puissances publiques à l’occasion de l’Exposition internationale des arts et des techniques appliqués à la vie moderne de 1937, le bâtiment abrite d’abord le premier Musée national d’art moderne en France avant que ne s’y installe le Musée d’art et essai, le Centre national de la photographie, puis l’éphémère Palais des arts de l’image. Laissé partiellement à l’abandon, il fut l’objet de plusieurs projets avortés et oubliés avant de renaître une première fois en 2002 en tant qu’institution nationale dédiée à la création contemporaine, puis dans une version agrandie en 2012. Considéré aujourd’hui comme le plus grand centre d’art en Europe, il est le fruit de cette histoire mouvementée, à la fois épique, erratique et façonnée par les politiques culturelles en faveur des arts visuels.
Pour aborder ce continent d’enjeux passionnants, Le Grand désenvoûtement se développera au cours des années à venir, à différentes échelles, visibles ou non du public. Ce premier chapitre prend la forme d’une exposition et de temps d’échange qui sont l’amorce d’un travail introspectif, autocritique et cathartique. Volontairement disparate, il associe œuvres, archives, rituels et rencontres dans un esprit spirituel et engagé, sérieux et joyeux, curieux et critique. Artistes, philosophe, chamane, comédien·nes, historien·nes, radiesthésiste et dessinateur participent au projet en le déplaçant et le reliant à d’autres histoires, selon leur lecture, leurs intuitions et leur subjectivité. Si certain·es procèdent à un relevé sensible et sismographique du lieu et de ses habitant·es, d’autres recourent à la fiction pour mieux subvertir les représentations hégémoniques, ou proposent des traductions poétiques et métaphoriques de l’esprit des lieux. Ces premières propositions permettent d’agir autrement sur le réel, celui du public amené à s’interroger sur l’histoire, le rôle et l’identité d’une institution culturelle par-delà ce qui y est montré, et celui des équipes, dans l’appréhension des missions de l’institution et de ce qui la détermine.
Cette double dimension publique et interne rapproche ce projet à la psychothérapie institutionnelle, une pratique qui, depuis les années 1940, opère une transformation de la psychiatrie en soignant les institutions autant que les individus, et en invitant les soigné·es, les employé·es et le voisinage à s’émanciper d’un état de « passivité obéissante » à travers l’improvisation, l’expression individuelle, collective et la subversion. Ce premier chapitre du Grand désenvoûtement procède d’une même volonté de réflexion et d’action des différents éléments constitutifs du Palais de Tokyo dans son contexte symbolique, politique et social, ainsi que d’une réflexion plus large sur des aspirations et des manières de faire collectives.
L’exposition est accompagnées d’une série de rencontres et de lectures.
Avec : Carla Adra, Philippe Baudelocque, Edith Dekyndt, Benjamin Fellmann, Géraldine Gourbe, Youri Johnson, Béatrice Joyeux-Prunel et Nicolas Heimendinger, Myriam Mihindou, Georgia Sagri, le Séna de Gerty Dambury, Sammy Stein, Hito Steyerl, Department of Decentralization et GPT-3.
Commissaire : Adélaïde Blanc, Guillaume Désanges