Les œuvres textiles multimédia de Chloé Bensahel sont des organismes vivants qui portent des fragments d’histoires complexes. Dans un langage de la trace et du code, elles nous racontent à travers matières tissées intelligentes, vêtements brodés, textes, activation corporelle et chant, leurs expériences de migration, faites d’hybridation culturelle et de résilience face au rejet et à la stigmatisation. Inspirée par sa propre histoire familiale diasporique méditerranéenne (Algérie, Maroc, Catalogne, France, États-Unis), qu’elle évoque notamment dans sa performance Body Memory (Mémoire d’un corps, 2021), l’artiste puise également dans les histoires de déracinement et d’enracinement dans le monde botanique comme allégorie de notre monde humain.
Pour sa première exposition personnelle au Palais de Tokyo, Chloé Bensahel crée une installation interactive composée de trois nouvelles tapisseries de sa série The Transplants (2021). Réalisées avec des matériaux végétaux, et notamment des plantes exotiques et invasives comme le lin, le mûrier, ou l’ortie, ses œuvres permettent d’imaginer comment l’histoire d’un territoire dans sa relation à l’hospitalité de corps étrangers se raconte aussi par les plantes. Dans leurs titres poétiques, telles que « A Dislocated Glory » ou encore « Bent, Bloom, Twisted Tongue », mais également dans l’usage d’un dégradé de couleurs ocres, vertes et or à connotations terrestres et divines, les œuvres tissent des récits d’épanouissement et d’apprentissage dans l’inconfort de l’adaptation au nouveau territoire.
Hybrides, les créations textiles multimedia de Chloé Bensahel sont également « cyborg », pour citer la philosophe Donna Haraway et sa lecture féministe du potentiel émancipateur des technologies. L’artiste mêle techniques traditionnelles de tissage français et nouvelles technologies, grâce auxquelles elle programme la capacité de ces tapisseries à chanter. Au contact du toucher des visiteurs, elles s’activent, s’illuminent et entonnent ici un chant byzantin interprété par la chorale La Tempête, avec laquelle Chloé Bensahel a collaboré pour cette exposition. Le chant et le toucher réveillent la mélancolie et la gloire de ces vécus transplantés, et nous invitent à plus d’écoute, d’empathie et de reconnaissance à l’égard de ce que nous percevons péjorativement comme Autre car trop étranger à nous-mêmes.
Née en 1991, Chloé Bensahel est une artiste franco-américaine qui mêle textile, multimédia et performance pour mettre en lumière la relation entre langage et identité. Diplômée de la Parsons School of Design de New York, elle a notamment présenté son travail entre 2016 et 2019 en Australie ( Australian Tapestry Workshop), au Japon ( Awagami Paper Factory), aux États-Unis ( Halcyon Arts Lab) ainsi qu’en France en 2019 au Mobilier National et plus récemment aux Grandes Serres de Pantin.
Commissaire : Amandine Nana
Un remerciement tout particulier à La Tempête et Just’Lissières Aubusson.