La montée en visibilité des pratiques autochtones dans l’art contemporain international est un phénomène majeur de l’histoire de l’art en train de s’écrire, avec le risque, parfois, de devenir une simple étiquette. Les termes « hybridité » et « anthropophagie » (en référence au « Manifeste Anthropophage » d’Oswald de Andrade) ont ainsi été accolés à « autochtonie » afin d’éviter les assignations identitaires et d’interroger l’invention de pratiques et d’identités variables, déjouant les catégories héritées du colonialisme et permettant de repenser les rapports à la nature, au territoire, aux humains et aux autres qu’humains. En laissant la parole à des chercheurs et des artistes, ce séminaire entend déplacer la focale des questions institutionnelles vers celles des processus créatifs, des identités assignées vers les pratiques par lesquelles l’individu s’auto-désigne et invente ses relations au monde.
Pour cette troisième – et dernière en lien avec l’exposition de Jonathan Jones sans titre (territoire originel) – séance au Palais de Tokyo, l’historienne de la colonisation Isabelle Merle parle de la rencontre de l’Europe et du monde Aborigène en Australie. À travers le regard de Watkin Tench, jeune officier de l’armée britannique, est évoquée l’arrivée à Port Jackson (futur Sydney) en janvier 1788 de 700 condamnés, hommes et femmes, voués à fonder une colonie pénitentiaire. Watkin Tench s’attache à la description des premières interactions avec les habitants autochtones, la marche irrémédiable d’une colonisation singulière ainsi que la violence qui l’accompagne. Cette intervention permet d’évoquer le contexte australien préalable à l’expédition Baudin, telle qu’évoquée par Jonathan Jones dans son exposition.
Afin d’ouvrir la question de l’autochtonie plus largement à la zone Pacifique, Maia Nuku, Conservatrice des arts de l’Océanie au Metropolitan Museum of Art de New York, s’appuie quant-à-elle sur les œuvres phares de la collection du musée. Portant un nouveau regard sur l’art Moana/océanien, elle étudie sa relation au temps et au voyage ancestraux comme moyen d’explorer les idées de pouvoir visuel et de capacité d’agir immémoriale. Se basant sur des exemples précis – proues de canoé, cuirasses en coquillages ou masques en carapace de tortue – elle évalue la matérialité et la dimension esthétique des œuvres pour examiner le paysage conceptuel global dans lequel elles ont été conçues. Cette analyse permet de tracer les coordonnées d’une culture qui continue à unifier ses communautés au XXIe siècle.
Co-conception Morgan Labar (enseignant associé, département ARTS, ENS) et Daria de Beauvais (Senior Curator, Palais de Tokyo). En partenariat avec l’École Normale Supérieure (Paris).