Cette saison est une « carte blanche » proposée à la commissaire américaine Naomi Beckwith pour imaginer librement un projet pour le Palais de Tokyo qui soit spécifique à cette institution et se déploie dans tous ses espaces. Une paradoxale programmation « internationale en circuit court », c’est-à-dire en fertile interaction avec la réalité locale. Sa réponse spontanée de travailler sur la réception de la pensée française et francophone dans l’art américain de ces dernières décennies m’a immédiatement enthousiasmé. Elle est à la fois passionnante historiquement et extrêmement contemporaine, en lien avec l’actualité de l’art et au-delà.
Tout au long du 20e siècle, en France, des philosophes, des poètes, des activistes ont transgressé les disciplines et les genres littéraires et modifié les perspectives sur le monde. Parfois avant même leur reconnaissance en France, leurs idées ont été traduites aux États-Unis et ont servi à fabriquer des outils pour une vision critique de l’art comme de la société. En contestant des normes sociales, esthétiques et linguistiques, ils et elles ont ouvert de nouvelles manières de voir et d’agir. Si la notion de « French Theory » a été établie dans les années 1990 pour évoquer la réception enthousiaste que les États-Unis ont réservé à des auteurs comme Roland Barthes, Michel Foucault, Gilles Deleuze ou Jacques Derrida, d’autres figures, telles que Suzanne et Aimé Césaire, Frantz Fanon, Édouard Glissant ou encore Monique Wittig, ont été déterminantes pour le champ de l’art comme pour les études culturelles, postcoloniales, féministes et de genre.
C’est l’histoire de cette circulation des idées, de leur résonance et appropriation par plusieurs générations d’artistes outre-Atlantique que déploie cette exposition foisonnante et généreuse, associant plus de soixante artistes majeur·es ou émergent·es, dont une riche rétrospective du sculpteur Melvin Edwards.
Dans ce projet conçu par Naomi Beckwith avec l’équipe du Palais de Tokyo, il est beaucoup question de relations. Relations entre art et pensée, entre les Etats- Unis et la France, entre une personnalité étrangère et une institution française. Relation aussi au sens aussi de relater, partager de nouveaux récits dont nous avons besoin. Plus que le résultat d’une recherche, c’est une aventure artistique, intellectuelle mais aussi curatoriale qui prend le parti d’écrire l’Histoire plus que de la décrire.