Conversation entre Marie-Claire Messouma Manlanbien, artiste de l’exposition L’être, l’autre et l’entre, et Daria de Beauvais, curatrice de l’exposition, dans l’atelier le 26 avril 2023.
Daria de Beauvais : Pourrais-tu tout d’abord nous parler de ton parcours ?
Marie-Claire Messouma Manlanbien : J’ai commencé des études de communication graphique, puis j’ai travaillé dans différentes entreprises et des magazines de graphisme. J’ai ensuite continué mes études en école d’art avec un DNSEP à l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy. J’ai suivi le cursus pendant cinq années. En parallèle, j’ai développé différentes entreprises et activités en rapport avec mes créations personnelles. J’ai créé des éditions , des marques d’accessoires.
DB : Qu’en est-il de ton utilisation de techniques anciennes, comme le tissage ou la céramique par exemple ?
MCMM : J’ai commencé la poterie lorsque j’étais plus jeune en Côte d’Ivoire dans différents ateliers avec des potiers. Au fur et à mesure de mes études, je me suis intéressée à d’autres matériaux et il y a quelques années, je me suis remise à travailler la céramique. Progressivement, je me suis orientée vers les terres comme le grès , de teintes et tons variés, que je travaille avec différentes techniques par modelage ou directement sur le tour. Concernant le tissage, mon intérêt s’est manifesté dès mon plus jeune âge, quand je côtoyais ces différentes étoffes tissées, notamment avec mes cousines dont l’une est couturière. Les tissages que j’utilise sont des tissages Akan. Ce sont des Kenté ou Kita en Côte d’Ivoire. Il s’agit d’une étoffe, d’un vêtement royal . J ’ai commencé à effectuer des recherches sur les différentes symboliques et j’ai fait quelques formations de tissage, dont une plus récente à Paris.
Ce qui m’intéresse à travers cette pratique, c’est de réunir et connecter plusieurs récits. D’une part, je travaille avec les Kita, des tissages déjà existants , parce qu’ils portent en eux des histoires, parce qu’ils sont des supports d’informations et de mémoire.
J’interviens sur les différents motifs ou textures. Je viens les modifier, les supprimer et agréger d’autres éléments. D’autre part, j’ajoute mes propres créations que je fais selon des manières de tisser plus récentes, ce qui me permet aussi de joindre des histoires à un récit déjà écrit.
DB : Tu dis que ton travail porte sur les « rencontres entre les matériaux industriels tels que l’aluminium, le cuivre et le laiton avec des matériaux naturels tels que la fibre de raphia, la corde, la sève des arbres, les coquillages », peux-tu développer ?
MCMM : Je travaille avec différents types de matériaux, comme la résine d’arbre, la résine naturelle. Je travaille aussi avec du bois, des coquillages, des coraux, différents tubes de cuivre, des rubans de laiton, d’aluminium, des éponges à gratter et des grattoirs en différents types de matériaux en cuivre, en aluminium, en feutrine aussi. Ce qui m’intéresse, c’est de revenir sur ces matériaux et d’en rajouter d’autres. J’essaie de créer des rencontres, des échanges et voir comment ces matériaux cohabitent entre eux. Je travaille aussi avec diverses racines comme le vétiver et d’autres plantes comme l’eucalyptus ou le basilic.
DB : Cela m’amène à ma prochaine question, sur les plantes médicinales. Comment les utilises-tu ? Quelles sont leurs significations ?
MCMM : Je travaille le plus souvent avec des plantes que j’ai déjà côtoyées ou dont j’ai appris certaines informations et utilisations en discutant avec ma famille, en particulier avec ma mère et mes cousin·es qui utilisent beaucoup les plantes médicinales pour soigner. Les plantes que j’utilise dans mon travail peuvent traiter différents maux liés à la circulation, au stress, à des choses de l’ordre intime. Ma pratique relève de la culture populaire mais aussi de références spirituelles, en particulier créoles issues de la Guadeloupe.
DB : Tu t ’inspires de la culture populaire, mais aussi de références spirituelles Akan de Côte d’Ivoire et créoles de la Guadeloupe, peux-tu nous en dire plus ?
MCMM : Dans mon travail, je m’inspire de différentes cultures, aussi bien guadeloupéenne qu’ivoirienne, mais aussi celle de l’Egypte ancienne et bien d’autres comme la culture populaire, tant de France que des États-Unis. D’une certaine manière, il s’agit de culture universelle. Ce qui m’intéresse, c’est de créer des liens, des passerelles, des rencontres entre ces différentes cultures. J’ai par le passé beaucoup travaillé avec les figures de Super Girl ou de Wonder Woman, que je suis venue créoliser, auxquelles ajouté différents éléments de mes cultures plurielles, en m’inspirant aussi de différents textes, par exemple les poèmes d’Édouard Glissant. La culture Akan est présente au Ghana et en Côte d’Ivoire. Elle est composée de nombreuses ethnies, dont les Ashanti , Baoulé, Agni , Attié. C’est une institution matriarcale, dans laquelle les responsables de famille se transmettent par voie matrilinéaire. Par ailleurs, de nombreuses décisions – notamment les questions de statuts – sont prises en concertation. Je travaille avec différents symboles et mythologies Akan. Par exemple, sur le sujet de l’équité, j’utilise la figure de la balance et du reptile croisé, « dieu jumeau », qui peut être montrée sous différentes formes.
Le double crocodile croisé porte en lui les deux principes féminin et masculin qui forment un tout dans cette tradition. Le masculin est féminin, le féminin est masculin. Ils ne forment qu’un.
DB : On peut dire que tes œuvres ont une forte présence spirituelle, elles peuvent apparaître comme des totems protecteurs. Peux-tu nous en dire plus ?
MCMM : Je travaille beaucoup avec le masque, en particulier un masque qui provient de l’institution Akan et qui représente un individu assez ambigu, portant lui-même un masque. Ce qui m’intéresse, c’est qu’on ne sait pas s’il s’agit d’une figure féminine ou masculine. Le masque, en règle générale, donne à voir des divinités, des personnes vivantes ou des défunt·es. Je ne les vois pas comme des totems, c’est plutôt un moyen pour moi de parler de cette relation entre les vivant·es et le monde d’après.
DB : Le titre de l’exposition, « L’être, l’autre et l’entre », est extrait d’un de tes poèmes, présenté dans l’espace . Quelle signification cette formule a-t-elle pour toi ?
MCMM : « L’être, l’autre, et l’entre » est effectivement un vers d’un de mes plus récents poèmes. Il provient d’une discussion que j’ai menée avec un de mes oncles, le philosophe Jacques Demorgon qui travaille sur L’être, l’autre, l’entre, et l’un.
À travers ces mots, je veux parler des différents êtres vivants, de l’être humain, de la relation qu’il entretient avec les choses qui l’entourent, avec l’autre et son environnement.
L’autre qui peut être un objet, un élément manufacturé, un élément de la faune ou de la flore, mais aussi un individu. Ce titre résume assez bien ce que j’essaie d’aborder à travers mon travail actuellement. C’est la relation que l’on entretient avec tout ce qui nous entoure et la manière dont on se positionne dans notre environnement. Il s’agit aussi de questions qui nous concernent tous·tes, par exemple la question écologique et notre place au sein de ce monde dans lequel nous cohabitons avec d’autres formes de vie. J’essaie de donner à voir, de questionner. La cohabitation est-elle possible ? Comment la donner à voir ? Et si elle n’est pas possible, comment donner aussi cela à voir ?
DB : Plusieurs de tes poèmes sont présents dans l’exposition. Peux-tu nous parler de ton processus d’écriture ?
MCMM : J’essaie de raconter des histoires personnelles autant que des histoires imaginaires. L’écriture peut se montrer sous différentes formes : des poèmes que je grave dans des plaques en cuivre, des poèmes à lire sur les murs, des poèmes à entendre dans des vidéos, des œuvres sonores ou des performances… J’écris en général suite à des lectures ou des discussions, ou des observations de la vie de tous les jours . Mes poèmes peuvent avoir différents rôles : être des prières, avoir un statut d’offrande – des offrandes à l’univers, à des individus, des proches ou des divinités.
DB : Ta pratique est également performative, tu te définis par ailleurs comme une griotte ?
MCMM : Je m’inspire de conteur·euses, de griot·tes. C’est vraiment en fonction de mes textes , de mes poésies et de ce que j’ai envie de raconter aux autres. La musicalité est aussi présente, elle intervient dans mes performances ou mes vidéos. Je travaille à partir de sons existants ou que je crée, de sons enregistrés dans la nature, d’extraits musicaux existants que je retravaille. Chaque composition est unique.