COKNEY

Le graffiti étend le territoire de la création pour surgir par effraction dans la ville. Une fois décontextualisé, le passage en institution le fige souvent dans ses codes esthétiques. Héritier contesté du situationnisme et de l’action painting, enfant illégitime du land art, la pertinence du graffiti vient de sa richesse picturale, mais surtout de ses coulisses, de ses rituels, de son mouvement (du corps, du support), et de ses archives.

Arrêté en 2012 et 2014 par la brigade anti-tag et lourdement condamné à 228.000 euros d’amende pour dégradation volontaire et de nouveau mis en examen pour Association de malfaiteurs à cause de ses nombreuses peintures illégales sur trains et métros, Cokney (né en 1985) considère les documents d’enquêtes qui constituent son dossier judiciaire comme des prolongements de son travail. Autant d’archives publiques qu’il met en scène avec ses archives personnelles (photographies argentiques) et ses écrits (manifestes, récits, souvenirs, témoignages) que l’on retrouve dans son installation “Guerre du Nord”, hommage épique à la Gare du Nord, territoire prisé des graffeurs de trains et ancien quartier général de la police anti-graffiti.

Deux visions opposées d’une même œuvre : un tirage d’une photographie policière d’un métro peint associé au devis du coût de son nettoyage sont confrontés avec la photographie argentique prise par l’artiste. A l’intérieur du mur – dans un enclos étroit qui rappelle les entrées de dépôts – des peintures abstraites et obscures comme des fragments de lettrages sur lesquels des tags Cokney sont inscrits en fluo, rappel  des marquages techniques dans les tunnels du métro. En face, un mur peint accompagne une analyse policière du style de l’artiste : absence de fond, contours saccadés qui partent en fumée, crânes morbides. Les graffitis de Cokney convoquent les références punks, l’abstraction et l’Action Painting, les estampes japonaises, le tatouage. En mettant ces divers éléments en relation, Cokney renouvelle la manière de montrer du graffiti hors de son contexte et confronte ses diverses facettes : son esthétisme, sa tension et l’engagement d’un travail en pure perte, illégal et éphémère. Il explique:

« Le graffiti est dynamique. Avec la répétition, nos peintures sont vivantes et continuent de vibrer en nous, à travers les plaintes, les traces photographiques ou dans notre gestuelle. (…) Si la peinture est détruite, la mémoire du corps persiste. C’est une perpétuelle résurrection : chaque graffiti est détruit, mais les peintures qui renaissent le lendemain convoquent l’héritage de celles passées. »