En collaboration avec le Fresnoy, Studio national des arts contemporains.
Nouvelles histoires de fantômes est une installation bouleversante conçue par Georges Didi-Huberman et Arno Gisinger d’après le légendaire Atlas Mnémosyne de l’historien de l’art du début du XXe siècle Aby Warburg. Ce qui en résulte n’est sans doute pas une exposition, n’est sans doute pas une œuvre au sens traditionnel, mais, en une forme qui n’existait pas, la présentation d’une méditation incomparable sur la façon dont la photographie et le cinéma ont prolongé à leur tour les chefs d’œuvre des artistes anciens qui témoignent de ce que nous sommes. Cela fait plus de trente ans que Georges Didi-Huberman a entrepris une réflexion méthodique sur l’art, et son travail, dont l’œuvre entière interroge l’histoire, a approfondi notre relation psychique et éthique aux images. Avec l’artiste Arno Gisinger, ils présentent au Palais de Tokyo une nouvelle évolution de la spectaculaire installation qu’ils conçurent au Fresnoy en 2012 et qui invite le visiteur à une plongée au cœur des scènes qui hantent notre regard.
De même qu’il fut difficile à Charles Baudelaire de s’en tenir à un seul recueil des Histoires extraordinaires qu’il avait traduites d’Edgar Poe, de même il semble difficile à toute personne qui observe les destins fantomatiques des images de s’en tenir à un seul épisode de leurs Histoires de fantômes. Aby Warburg, vers la fin de sa vie, a produit un magnifique aphorisme qui cristallisait sa pensée historique et anthropologique des images autant que sa pratique de l’Atlas photographique, en écrivant qu’il s’agissait pour lui d’une sorte d’« histoire de fantômes pour grandes personnes » (Mnemosyne. Grundbegriffe, II, 2 juillet 1929). Sur cette double ou, plutôt, triple incitation – portée par les mots atlas, histoires et fantômes –, Georges Didi-Huberman a conçu en 2010 une vaste exposition intitulée « Atlas » et présentée avec de nouvelles variantes au Musée Reina Sofía de Madrid, au ZKM de Karlsruhe et aux Deichtorhallen-Sammlung Falckenberg de Hambourg. L’exposition n’ayant cessé de se transformer, elle fut appelée à une toute nouvelle tournure lorsque Arno Gisinger accepta de construire une interprétation photographique – constituée de quelque mille deux cents images – de l’exposition envisagée à travers ses objets, mais aussi à travers son travail, son montage, ses aspects inaperçus, ses hasards objectifs.
Cette exposition traite ainsi de la vie fantomatique des images dont notre présent, autant que notre mémoire – historique ou artistique –, est constitué. Elle se présente comme un hommage contemporain à l’œuvre d’Aby Warburg dont le grand atlas d’images – intitulé Mnémosyne, nom grec de la déesse de la mémoire et mère des Muses – réunissait un millier d’exemples figuratifs où toute l’histoire des images se disposait de façon à nous faire entrevoir les problèmes les plus fondamentaux de la culture occidentale. Mais il nous revient de recomposer aujourd’hui de « Nouvelles Histoires de fantômes », tâche commune aux artistes, aux philosophes et aux historiens. Travail à refaire constamment pour donner à comprendre que nous ne vivons notre présent qu’à travers les mouvements conjugués, les montages de nos mémoires (gestes que nous esquissons vers le passé) et de nos désirs (gestes que nous esquissons vers le futur). Les images seraient alors à regarder comme les carrefours possibles de tous ces gestes conjugués.