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François Curlet

FUGU
Du 27/02/2013 au 20/05/2013

« Oui on pourrait demander à Romy Schneider aussi, j’ai un contact dans l’au-delà, elle s’intéresse beaucoup au design. Ça serait très juste sur ce projet. Sinon Jacqueline Maillan est ok pour faire quelque chose à Frieze je crois, à vérifier auprès de Jacques Chazot avec qui je suis en relation. »  M.A.

 

Pour sa première grande exposition monographique à Paris, François Curlet, adepte du détournement d’objet, déploie son univers distancié qui met à mal les clichés du monde. Slogans publicitaires, faits divers ou objets du quotidien et fictions sont prétexte à une poésie subtile à la fois existentielle et populaire. Emerge un monde nourri par les paradoxes où, à l’image du poisson fugu très prisé au Japon, le mets délicieux peut se transformer en un poison redoutable. Le visiteur oscille entre plaisir cérébral aux apparences légères et une gravité latente qui peut ressurgir à tout moment.
 

Entre scepticisme joyeux et rire cynique

« Fugu », exposition monographique consacrée à l’artiste François Curlet (né en 1967, vit et travaille à Bruxelles), présente au Palais de Tokyo un important ensemble d’oeuvres datant de 1985 à 2013. L’artiste développe depuis la fin des années 1980 un corpus où le monde matériel est démantelé, déréglé et distordu au travers d’une poésie du quotidien. En usant autant de l’artefact que de la philosophie, l’artiste développe une stratégie où les associations d’idées se transforment en allégories, où l’esprit se trouve saisi par de surprenants dialogues de formes, mettant en mouvement le pouvoir de l’imagination et réinventant en permanence notre environnement naturel et matériel. De l’existentiel au trivial, l’intérêt de François Curlet semble n’avoir aucune limite, aucun territoire. Encourageant l’esprit critique, son travail invite à la réinvention, à la surprise, en usant autant d’un vocabulaire proche d’un scepticisme joyeux que du rire cynique.

Des objets poussés à l’état-limite

Atomique, l’ensemble de son travail n’obéit cependant à aucun algorithme, et chaque oeuvre semble plutôt procéder de son propre théorème, François Curlet cherchant dans chaque objet ses possibles qualités « radioactives ». Micro-histoire, faits divers, évènements historiques, brèves politiques, slogans publicitaires, anecdotes sociales, produits dérivés et jeux de mots sont autant de terreaux pour le travail de l’artiste. Vision hallucinatoire, l’oeuvre de François Curlet cultive l’étatlimite, où l’objet oscille entre fictions et réalités, jouissance et empoisonnement, à l’image du poisson fugu. Dans le sillage d’artistes tels qu’Erik Satie, George Brecht, Jef Geys, John Knight ou du film Mon oncle d’Amérique (1979) d’Alain Resnais, François Curlet dessine un univers où l’humour est aussi utilisé pour défaire les protocoles sociaux.

Quelques oeuvres de l’exposition

Bunker pour six oeufs, 2011
Entre sarcophage et nid, tombe et abri, le Bunker pour six oeufs joue avec l’incongru et l’ambigu. Entre paranoïa sécuritaire et obsession de conservation, les oeufs, aussi reproductibles que fragiles, sont autant emprisonnés que protégés par l’armature bétonnée. Reprenant l’iconographie de la guerre, l’oeuvre nous suggère la vacuité de nos comportements, la permanente recherche de refuge et de sécurité, quand « tout le monde veut faire son nid, héritiers, endettés ou façon coucou. »

Chanter l’Enfer, 2010
En 2010, François Curlet visite l’appartement du Pasteur Andras Pandy à Bruxelles, un « triangle des Bermudes psychologique » où le tueur en série a commis six assassinats avant de dissoudre le corps de ses victimes à l’acide. De ce voyage dans le macabre, l’artiste revient avec un certain nombre de reliques, des rideaux aux portes manteaux, objets chargés du drame. Ces derniers sont transformés en abris pour oiseaux et bréchets, comme autant d’autels invitant à s’interroger sur la matière comme transmetteur du mal.

Rorschach Saloon, 1999 
Sas de décompression, le Rorschach Saloon est un lieu de passage. Introduit par des portes battantes à l’effigie du test de Rorschach, il est un espace liminal invitant à l’exploration de la conscience et du savoir. La vodka et le whisky, symboles des deux blocs de la guerre froide, sont les outils mis à disposition du visiteur pour l’accès à un autre état de conscience. À celui-là de prendre position et de choisir lequel de ces deux alcools il préfère afin d’accéder à l’un des savoirs produits par l’endoctrinement.

Vitrine, 1992
Système d’inversion et jeu de rôle, la Vitrine est une oeuvre qui se joue de son regardeur. Tel est pris qui croyait prendre, quand le spectateur se trouve déformé par l’objet qu’il observe. En usant d’une mise en abîme et d’un comique de situation, Vitrine met le public au centre de son dispositif, pris au piège par son corps exposé, grossi, transformé par la matière. Soulignant la question de la relation des corps, du regard et du pouvoir, François Curlet offre à l’oeuvre la capacité de transformer.

Jonathan Livingston, 2010-2012
Inspiré de la comédie dramatique désormais classique de Hal Ashby, Harold et Maude (1971), le film Jonathan Livingstone met en scène un personnage roulant à bord de sa jaguar Type E transformée en corbillard. Ce chauffeur, errant en rase campagne, semble chercher sa route, alors que la situation oscille entre jouissance de la vitesse et accident potentiellement fatal. Ambivalente, cette roulette russe du jeu de la vie et de la mort est supportable car légitimée par une voiture aux allures de trophée.
Ce projet a été sélectionné par la Commission mécénat de la Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques qui lui a apporté son soutien , et avec le soutien des Galeries Lafayette.

Maquettes pour architectures fainéantes, 2005-2006
Les Maquettes pour architectures fainéantes sont une étude de projet de François Curlet pour la création d’un habitacle généré par la coulure naturelle du béton. La gravité et la pesanteur déterminent ainsi l’abri générique de l’homme. Architecture fainéante se pliant aux lois naturelles, elle permet à l’individu de disposer d’un lieu déterminé par les caractéristiques physiques propres à son matériau.

Moteur, 1989 
Moteur, objet industriel réduit à sa structure, est une oeuvre qui s’inscrit dans la tradition du ready made duchampien. Cet outil élémentaire de l’ère industrielle a été réalisé en fin tissage d’osier par un atelier de personnes mal voyantes. Les mains tressant l’objet rappellent les chaînes de montage, alors que l’ouvrier est comparé à un rouage aveugle et servile dans le cycle de production. Aussi, vidé de ses qualités mécaniques, le moteur, déposé sur un socle, ne rappelle que la vacuité de son état.

Western (E.A tricolore italien), 2005-2012 
« Je suis un clandestin traversant des contrées, un projectile. » Faisant référence à l’évolution de l’histoire du western classique américain vers le western spaghetti italien, François Curlet désigne sa pratique comme de l’ « Arte conceptuel spaghetti ». Se dégageant d’une définition orthodoxe de l’art conceptuel, son travail en reprend certains codes (l’importance de l’idée, du développement d’une logique) pour, à l’image du spaghetti, se déterritorialiser, imaginer de nouveaux scénarios de création.

Moonwalk, 2002
Injonction d’une machine industrielle, Moonwalk suggère la possible mise en activité du passant. Enseigne, panneau de signalisation ou signal lumineux, l’oeuvre reprend les codes de la publicité et du décor urbain. Jeu entre mobilier fonctionnel et poésie du quotidien, la machine est un despote dont les messages oscillent entre ordre pragmatique, pas de danse et excursion spatiale. François Curlet reprend et détourne les codes de l’environnement contemporain et imagine un appareil pédagogique pour préparer les populations aux futures marches lunaires.