Le graffiti patine avec la matière précaire du réel. En pure perte, il est un sentiment, une attitude, un mode opératoire.
Libéré de son esthétique, le graffiti est un rapport mental et physique des marges, une écriture originelle des ombres de la préhistoire et de l’enfance. Depuis les signes des hobos et ceux qui évangélisaient la carcasse du métro argent de New York depuis 1970, le graffiti est une écriture cinétique, elle emprunte les perspectives des rails qui lacèrent les pays-sages. Peinture du déséquilibre, le graffiti s’érige sur la verticalité de l’architecture, ses recoins, sa crasse, ses impasses.
Le vandalisme est un soin venu illuminer les surfaces oubliées. Il est romantique : le graffiti tue le temps. Peinture de l’urgente patience, il faut attendre pour agir vite. Peinture opaque, le graffiti (dé)compose des langages communautaires. Il y est question d’identité choisie, de style, de flow saccadé, de dégaines, de couleurs, de remix tête en bas mise à terre. Peinture de la faille, le graffiti est une excroissance. Langage des contestations, il est aussi un processus de domination : une écriture masculine toxique. L’humanité est née tagueuse.
La signature est signe d’authenticité, anonyme elle fait autoportrait. Mais le graffiti surgit pour disparaitre, il n’en reste que des traces et des plaies, pour voler les maux d’Henri Michaux. L’ultra visible se conjugue avec l’indicible, l’absence, la croyance et la plainte – alors le médium photographique traverse le graffiti depuis le secret de l’ère argentique à celle des algorithmes numériques, car le graffiti est aussi un réseau d’images et de mythologies aux surfaces sensibles. Réunissant une quarantaine d’artistes internationaux, Au nom du nom rallie et relie des visions du désordre pour déployer une imagerie du trouble. Photographie documentaire, d’ambiance, d’action, archive intime, souvenir cramé, oublié, photographie picturale, photographie policière : l’exposition étire une pensée en négatif du graffiti envisagé comme révélateur de ce que la vi(ll)e remue.
EXPOSITION COPRODUITE PAR LE PALAIS DE TOKYO ET LES RENCONTRES D’ARLES.