Anywhere, Anywhere Out of the World

De l’exposition sans objet à l’exposition comme objet, Philippe Parreno pense sa carte blanche au Palais de Tokyo comme une oeuvre à part entière. Dans le cadre de celle-ci, Philippe Parreno transforme le Palais de Tokyo en espace poétique situé entre réel et virtuel.

Véritable théâtre de mémoire, le Palais de Tokyo, qui laisse apparaître par sa structure les différentes strates de son histoire, est réinventé par l’artiste. Philippe Parreno conquiert cette polyrythmie, cette sédimentation mouvante, en recourant à différents dispositifs architecturaux et scénographiques qui inventent de nouvelles formes de vie et suggèrent de nouvelles possibilités d’être à ce bâtiment. Murs, plafonds, sols, éclairage et sonorités : toute la structure est ainsi revisitée. L’artiste crée une dramaturgie de la perception offrant des voies originales pour habiter les espaces, attribuant de nouvelles fonctions aux salles, initiant des rencontres inédites entre les oeuvres et l’architecture.

Cette refonte du bâtiment, orchestrée selon une savante chorégraphie par l’artiste, en collaboration avec Randall Peacock, « set designer », et Nicolas Becker, « sound designer », cherche à éveiller les sens du visiteur. Jeux de lumière et effets visuels, combinaisons sonores : Philippe Parreno crée, par ces enchainements d’ombres et d’impressions, d’émotions et de sentiments, un condensé de présences. Il donne ainsi à voir des situations, des événements, des rémanences. Ce parcours qu’il propose au visiteur est rythmé par les mouvements de Petrouchka de Stravinsky et permet de rencontrer le fantôme de Marilyn, de s’enfoncer dans le corps sombre d’un jardin au Portugal (C.H.Z.), d’entendre les pas des danseurs de la compagnie Merce Cunningham, de voir Annlee s’incarner en petite fille, grâce à Tino Sehgal, d’arpenter une rue éclairée par le clignotement de ses Marquees, d’observer le visage de Zidane qui se démultiplie, de parcourir une bibliothèque de Dominique Gonzalez-Foerster.

Avec cet archipel de différentes scènes successives qui se fécondent entre elles, il inscrit le parcours à la fois dans la performance de l’instant et dans la durée du récit. De là, le sentiment d’un hors temps, où différentes temporalités se superposent et s’entremêlent. Cette dynamique temporelle se traduit par une exploration sonore et musicale. Philippe Parreno parcourt, selon une mécanique poétique, la célèbre composition Petrouchka de Stravinski pour découper son exposition en différents moments, en différents tableaux. Chacun des mouvements de cette extraordinaire oeuvre de Stravinsky, jouée ici par le pianiste Mikhail Rudy, donne le signal et annonce chacun des événements de l’exposition. Ainsi, l’intégralité du parcours est-il orchestré, rythmé, par le fantôme, l’esprit de Petrouchka, un pantin qui, à son tour, par ce jeu de découpage, transforme l’exposition en automate. Cette orchestration, qui s’appuie par un jeu de correspondances thématiques et temporelles sur la partition de Stravinski, met en évidence l’architecture mystérieuse et secrète de l’exposition. Elle invite le spectateur à plonger dans un monde flottant, entre présence et absence, entre oubli et rémanence, transformant la visite en un conte aux teintes mélancoliques.

Jean de Loisy et Mouna Mekouar, commissaires de l’exposition