Florian Pugnaire & David Raffini
Energie sombre
Video HD, 14 min
Le projet Energie sombre, réalisé au mois de mars 2012, fait écho à des installations antérieures dans lesquelles Pugnaire & Raffini ont déjà fait intervenir des véhicules.
En 2010, In Fine mettait en scène l’auto-compression d’une tractopelle modifiée, investie d’un dispositif hydraulique, dans la friche du Palais de Tokyo. L’année précédente, une voiture munie d’une machinerie similaire se contractait de l’intérieur, progressivement, pendant toute la durée d’une exposition (Expanded Crash).
Pour Energie sombre, le camion subit non seulement une compression, mais aussi une explosion et un incendie. Dans une atmosphère proche du road- movie et du western, le film témoigne sous la forme d’une fiction, de la transformation de ce camion en sculpture, et des étapes successives de sa métamorphose.
L’engin arbore une peinture jaune, et ses vitres teintées ne laissent rien transparaître. Alors qu’il avance et se perd dans une végétation dense, sa carrosserie s’altère, par le biais de différents phénomènes qui semblent émaner de l’objet luimême. La peinture cloque, s’érode, se macule de boue et de peinture, ce qui finit par donner au camion un tout nouvel aspect. Une fois son enveloppe détruite, sa masse elle-même se métamorphose : contrainte par un système hydraulique placé en son sein, elle se contracte et se réduit. La tôle se froisse, l’engin se replie sur lui-même et ne peut bientôt plus avancer.
Le film se termine par l’explosion de la carcasse préalablement réduite du camion, abandonnée au milieu d’un champ.
Le camion est le personnage principal du film : le conducteur n’apparaît jamais et les vitres sont teintées. On pense à Duel de Spielberg (1971), à Crash de Cronenberg (d’après Ballard – 1996) ou encore à Christine de Carpenter (d’après King -1983). La personnification de l’objet est ici un élément nécessaire à la tension narrative du film, et apporte une dimension métaphorique et existentielle à ce fourgon filmé comme un animal à l’agonie.
Par ailleurs, la métamorphose du camion soulève des questions afférentes à la peinture (altération de son enveloppe, surface, peau, …), ainsi qu’à la sculpture. On pense inévitablement à ce qu’il contient (plein, vide, proportions humaines, tombeau…) ce qui n’est pas sans rappeler certains aspects de la sculpture minimale comme Die de Tony Smith (1962). Le camion est filmé comme un volume hermétique qui renferme une énigme : celle de sa mobilité. Tout comme pour les Merda d’Artista de Manzoni (1961), la question de son contenu est ici à la fois primordiale et secondaire : la personification du camion est à la fois le noeud fictionnel du film et un prétexte pour ouvrir l’espace du film à des considérations esthétiques plus larges.
L’hermétisme de l’objet rappelle également l’expérience du chat de Schrödinger (1935), qui, sans entrer dans des considérations sur la physique quantique, soulève un point sensible : un chat, enfermé dans une boîte avec un dispositif mortel, serait simultanément mort et vivant tant que la boîte reste fermée et que l’observation de sa mort n’est pas faite. Ce qui anime le camion dans Energie sombre pourrait être du même ordre : un paradoxe, une superposition potentielle de la présence et de l’absence.
Enfin, la contraction et l’explosion de l’objet camion font directement référence à des notions de sculpture (compression / expansion). La successivité de ces deux notions dans le film tente d’ évoquer métaphoriquement la destruction et la création de l’univers (Big Crunch / Big Bang). L’objet passant par différents états, il serait à la fois anecdotique, fictionnel, et métaphysique.